Il n’y a pas d’escalier qui descend jusqu’à la plage en traversant une pinède à l’ombre de laquelle je pourrais échanger des baisers volés mais il y a le même sentiment d’abandon que décrivait Françoise Sagan dans Bonjour tristesse.
Cette déréliction si particulière qui engendre l’ennui et cet état de lassitude. Les heures passent, les jours passent et c’est le même refrain, celui de la vacuité. Il n’y a pas d’hosanna pour égailler la journée depuis qu’il n’est plus là. Lui, encore si jeune, mais déjà si mature, capable d’affronter avec sa candeur le monde qui se dresse devant lui. Il n’a pas peur, il est innocent. Je l’observe, il manipule son monde et avance ses pions prudemment, parfois en prenant un risque mais il sait corriger le tir et se remettre dans la direction qui lui donnera la victoire. Je n’ai pas son talent et pourtant j’ai connu toutes ces situations, je les ai décryptées et même enseignées mais rien n’y fait, je me laisse prendre comme dans les rouleaux de l’océan, tapis la tête contre le sable sans pouvoir me relever comme aspiré par les profondeurs de l’abîme.
Curieusement les échecs s’accumulent … et je n’apprends rien ! ils s’égrènent comme un chapelet et glissent comme l’eau sur les plumes du canard. Comme si j’étais imperméable, protégé, béni des dieux mais malheureux. Seul contre tous, perdu entre deux mondes, nostalgique d’un pays qui n’existe plus et envieux d’un monde qui n’existe pas.
J’ai cette curieuse sensation d’être posé dans des lieux qui ne m’appartiennent pas, d’être un meuble vivant dans un décor qui me ressemble et pourtant totalement impersonnel comme si je n’étais rien, si ce n’est vivant à la différence des objets qui m’entourent.
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » disait Alphonse de Lamartine, et moi qui suis-je ? ai-je la force d’aimer ? je ne sais pas, je ne sais plus. Pourquoi aimer demanderait de la force ? aimer doit être sans difficulté, sans effort, léger comme l’âme présentée à Osiris.
Il me manque cette légèreté, cette forme d’insouciance pour aimer, tirailler entre mes amours d’hier et celles de demain idéalisées. Et c’est là que je mesure la nécessaire force d’aimer ce qui est et non la légèreté d’aimer ce qui n’existe pas comme une fuite pour ne pas se confronter au réel. Peur d’un monde que je n’aime pas, peur de l’abandon, peur de l’échec. Alors le doute me paralyse, mes idées, mes projets, mes ambitions sont évanescents et je suis perçu comme dilettante mais ce n’est qu’une posture, elle ne demande pas d’effort, elle est simplement l’expression d’une nonchalance subie.