En 1985, Mikhaïl Gorbatchev conscient de la fragilité politique et sociétale de l’URSS décidait de s’inscrire dans les pas de Lénine en reprenant à son compte les paroles du leader de la Révolution d’Octobre quand il était encore dans la clandestinité : « Plus de lumière ! ». C’est ce que l’on a appelé la glasnost qui a conduit à l’effondrement de l’URSS dont la survie ne tenait qu’à l’obscurantisme de la nomenklatura.

Trente ans plus tard, la France créé une administration, la HATVP (Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Politique) qui suscite l’enthousiasme des citoyens curieux de découvrir les revenus et le patrimoine des élus de la République. Ce que nous savions déjà est confirmé, la transparence n’est pas la première vertu du monde politique et toutes les astuces sont bonnes pour dissimuler la vérité quand il ne s’agit pas pour certains, députés du peuple chargés de voter les lois de la nation, de qualifier les déclarations d’intérêts des parlementaires de « méthodes dignes de l’Inquisition » !

Que penser du retard de notre grande démocratie dans la transparence de la vie politique que ce soit du côté de nos institutions ou du côté des gouvernés comme le collectif Regards citoyens créé seulement en 2009 ?

Si l’on doit parler de crise politique en France et de crise morale, nous devons accepter l’idée que notre démocratie est menacée par deux maux qu’elle a engendrés : d’une part, la démocratie est malade du politicien et d’autre part, le monde politique est isolé du peuple. Aristote mettait déjà en garde la démocratie contre l’effet perturbateur des fortes inégalités entre les riches et les pauvres ; aujourd’hui le discrédit de la classe politique hypnotisée par le pouvoir de l’argent et le décalage croissant entre la rémunération des élus et le salaire moyen des Français coupent les gouvernants des préoccupations réelles de leurs concitoyens. Ce rapport à l’argent du monde politique est l’expression même de la corruption, qu’elle soit active, passive ou morale. Sept Français sur dix estiment que les responsables politiques sont corrompus et que le manque de probité des élus « légitime » les petites tricheries du quotidien des citoyens. Nous connaissons la cause de la crise politique française, elle n’est pas de la responsabilité du peuple qui à chaque élection est un peu plus nombreux dans le camp des abstentionnistes, elle est de la responsabilité des gouvernants qui oublient la souveraineté populaire mais se targuent de la légitimité populaire pour transformer la démocratie en oligarchie qui n’est que la forme corrompue de l’aristocratie. La Révolution Française n’a que modifié l’attribution des rôles pour exercer le pouvoir mais n’a rien changé au fait d’exercer le pouvoir par un petit nombre non plus par l’hérédité mais par la cooptation à condition d’accepter les règles et de respecter le silence. La transparence de la vie politique, toute nécessaire soit-elle, se confrontera à la résistance des appareils politiques, à la réprobation des gardiens des secrets qui neutralisent les adversaires et à l’inertie des organismes dont la totale inutilité serait révélée. Devons-nous pour autant abandonner et laisser la situation se déliter ? Non, car il n’y a aucune raison objective pour continuer à augmenter la dette de chaque petit Français qui nait parce que l’argent public sert davantage aux intérêts particuliers de quelques dizaines de milliers d’individus plus prompts à expliquer comment corriger les inégalités sociales plutôt que de corriger leur manque d’exemplarité.

La force d’une démocratie se mesure à la maturité de son peuple. Le repli sur soi, sur les siens, la fatalité ou l’abandon ne sont pas la solution pour enrayer le mal de la corruption et il est puéril de se consoler en se disant que ce n’est pas si mal en France par rapport à d’autres pays, ce n’est pas digne de la grandeur de la France.

Tolstoï estimait que la corruption se cache partout dans le monde urbain marqué par l’argent et l’éducation ; pour la combattre, il considérait que l’homme doit se régénérer sur la base de vertus simples.

Un siècle plus tard, en toute transparence, il faut régénérer la démocratie en oxygénant la vie politique par le renouvellement et le rajeunissement de son personnel (au sens de serviteur de la chose publique), plus en adéquation avec le quotidien de la population française dont le salaire moyen mensuel est de 2 000 €. Seule une nouvelle génération probe peut rompre avec le système actuel et limiter le nombre et le cumul de mandats de chaque élu de la République pour endiguer le fléau de la corruption et des mauvaises habitudes. Le pragmatisme, l’honnêteté, l’exemplarité sont les qualités que l’on demande à n’importe quel salarié du public ou du privé, en serait-il autrement pour les salariés de la démocratie ?

 

Benoît de Valicourt

 

Argent et politique : vers quelle transparence ?

de Pierre Morel-Á-L’Huissier, Les Editions du fil rouge – 2014